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Tintin et Hergé.

Publié le par Shuten Doji

L'évolution de Tintin est intimement lié à Georges Rémi dit Hergé. Travaillant dans le quotidien catholique conservateur, Le Vingtième Siècle, le dessinateur débutant fait de son personnage un reporter pour Le Petit Vingtième. Il ressemble un peu à Totor, C.P. des Hannetons, créé en 1926 pour Le Boy-scout belge. À l'époque, c'était du dessin commenté, les références de Rémi se résumant à Bécassine ou Les Pieds-Nickelés. Entre-temps, par l'intermédiaire de journaux mexicains, il découvre les comics et ses protagonistes qui parlent dans des bulles. Il connaissait déjà cette méthode avec Zig et Puce d'Alain St Ogan ( 1925 ) et s'en sert pour sa future série illustrée. Les travaux de commande qu'il effectue sur le supplément littéraire et artistique, l'oblige à perfectionner ses techniques de dessin.

Quand il apparaît le 10 janvier 1929, distingué par ce qui n'est pas encore une houppette, elle le devient à la page huit, et un pantalon de golf, Tintin reflète l'état d'esprit de son auteur. À l'époque, ce dernier va sur ses 22 ans, baigne dans un milieu très chrétien et n'est jamais sorti de Belgique. Il connaît le monde à travers des textes et les récits de missionnaires. Il ne voyagera qu'extrêmement tard. Son mentor, l'abbé Wallez, bouillonnant directeur d'Hergé, est anti-bolchevique, admire Mussolini et répète au jeune Georges que la finance internationale est aux mains des juifs. Il charge ce dernier d'envoyer son journaliste en Union Soviétique, accompagné d'un fox-terrier à poil dur tout blanc, Milou. Une aventure, bien sûr, prétexte à dénoncer le régime socialiste, moquant aussi des allemands, pendant une escale à Berlin, jugés pas très malin par un chien. Hergé s'inspire d'un livre fort répandu alors, écrit par un ancien consul de Belgique en Russie, Joseph Douillet, Moscou sans voiles, qui décrit l'URSS comme le péril rouge. Celui-ci a plus connu ce pays pendant la période tsariste que celle communiste.

Ses périples au Congo, une propagande colonialiste, et en Amérique, une dénonciation du mode de vie des Etats-Unis, sont du même acabit, c'est-à-dire une succession de péripéties et de gags exécutés à la petite semaine sans véritable histoire. Mais à partir du séjour en territoire yankee, à part accentuer son côté incisif ou sa découverte du monde des indiens et des gangsters de Chicago, l'auteur s'inspire du cinéma pour ses cadrages. Une mise en scène qui se précise dans Les cigares du Pharaon, où se profile un scénario et se dégage une atmosphère inspirée du réalisateur James Whale ( La Momie ). Il agrandit la famille du petit reporter avec X33 et X33 bis, les futurs Dupondt, et suggère le fantastique comme il le fera dans les albums à venir. L'ombre du King-Kong de Cooper et Shoedsack plane sur L'île noire. Ce qui est nommé par les gens comme "la bête" n'est en fait qu'un gorille qui détale face aux aboiements de Milou... L'influence des 39 marches de Hitchcock s'y fait également sentir. Tout comme certains faits divers passés, la malédiction de Toutankhamon, dans Les 7 boules de cristal.

En 1934, conseillé par l'abbé Gosset et pour aller à contre-courant des idées reçues, il fait une recherche approfondie sur la Chine pour Le Lotus Bleu avec un sculpteur de 27 ans, Tchang Tchong-Jen qui étudie aux Beaux-Arts de Bruxelles. Quand on voit les véhicules dans les 'Soviets, on sent déjà le soucis d'Hergé pour le détail ; lorsqu'il représente un bolide, il reproduit une Mercedes Torpedo et pour lui donner un effet de vitesse, il s'inspire des photos de Jacques-Henri Lartigue. Avec l'Oreille Cassée, Il continue à se documenter. Il lit notamment Le Crapouillot, revue inclassable de l'époque, dont un numéro d'octobre 1930 traitant d'Al Capone avait également servi lors de l'élaboration du troisième opus de Tintin pour vaguement coller à la réalité. Cette fois, il s'inspire d'un article traitant de la manipulation des républiques bananières par la haute finance internationale. Sous prétexte de retrouver un fétiche arumbaya, Tintin se rend donc en Amérique du Sud et Georges Rémi transpose la guerre du Gran Chaco, entre la Bolivie et le Paraguay, dans celle du Gran Chapo, jeux de mots facile, opposant le San Theodoros et le Nuevo Rico. Même pour les personnages, il emprunte les noms en modifiant une ou deux lettres. Ainsi, le financier et marchand d'armes grec Basil Zaharoff devient Mazaroff dans la version N/B et Bazaroff dans celle en couleurs ; le général Olivaro, libérateur du San Théodoros fait écho à Simon Bolivar, celui de la Grande Colombie. L'auteur procédera de la même manière avec Le Sceptre d'Ottokar. La Bordurie étant l'Allemagne nazie qui annexe l'Autriche ( l'Anschluss ) personnifiée par la Syldavie et Müsstler étant la combinaison de Mussolini et Hitler. Après la seconde guerre mondiale, la Bordurie sera le reflet de l'Union soviétique.

Dans ces deux albums, Rémi part d'un simple fait, vol d'une statuette dans L'oreille', serviette oubliée dans Le Sceptre', pour déboucher sur un évènement de plus grande ampleur : une conspiration, un trafic international ou la recherche d'un trésor au bout du monde. Ce sera une boîte de conserve dans Le Crabe aux Pinces d'Or et une maquette de bâteau dans Le Secret de la Licorne.

En 1940, quelques mois avant l'invasion allemande, Le Vingtième Siècle, qui a toujours eu un statut précaire, et donc Le Petit Vingtième cessent de paraître, interrompant ainsi L'or noir. L'histoire n'est achevée qu'en 1949 dans l'hebdomadaire Tintin avec la présence inexpliquée d'un certain capitaine. Pendant l'occupation, Hergé continue son activité dans les pages pour enfants du Soir ( volé ) qui s'arrêtent très vite. Il y avait commencé une nouvelle histoire, Le crabe aux pinces d'or qui se poursuit en strips quotidiens dans le journal principal et voit l'arrivée d'un nouveau personnage récurrent, Haddock. Il ne fait aucune référence au conflit et fait vivre à son héros des aventures loin du Vieux Continent comme Le Trésor de Rackam le Rouge où le professeur Tournesol s'incruste avec son sous-marin requin. Rémi reste le plus neutre possible dans Les 7 boules' et La Licorne' qui se déroulent entièrement sur le sol belge. Cela n'empêche pas, aujourd'hui, les professionnels du reproche de dénoncer sa présence dans ce médium "collabo". Mais il devait gagner sa vie dans un Plat Pays sous contrôle allemand. Il est vrai que beaucoup de donneurs de leçons n'ont souvent pas connu cette situation. Au contraire d'un autre dessinateur du Petit Vingtième, Jam, Hergé n'a pas rejoint le parti Rex de Léon Degrelle. Il ne s'est jamais passionné pour la politique. Les moutons... oups, je veux dire les critiques aiment également souligner les caricatures juives de cette période du globe-trotter. Celles de L'étoile mystérieuse, où deux commerçants juifs aux physiques et noms sans ambiguïté, Isaac et Salomon, sont montrés comme près de leurs sous. Il n'était pas anormal de caractériser certaines cultures ou ethnies et ceci bien avant l'avènement du fascisme et du nazisme. C'était un racisme latent.

À partir de L'affaire Tournesol en 1954, George Rémi affine sa technique de la Ligne Claire jusqu'au Tibet ( 1960 ) qui est le sommet, si on peut dire, de son art et développe ses thèmes de prédilection, défense des plus faibles, amitié, dénonciation des dictatures et de l'esclavage. Dans les albums suivants, il déconstruit son oeuvre. Dans Les bijoux de La Castafiore, une non-aventure, les protagonistes demeurent à Moulinsart et les méchants sont absents, le collier de la diva est en fait dérobé par une pie. Quant à Vol 714 pour Sydney, on revient au début comme si rien ne s'était passé et les vilains sont ridiculisés. Enfin, dans Les Picaros, dernière histoire finalisée, Haddock qui, d'habitude, rechigne à quitter le confort du château de Moulinsart, se précipite dans la gueule du loup avec Tournesol et Tintin se sent obligé de se rendre au San Theodoros pour aider ses amis. L'épilogue nous montre des héros pressés de rentrer à la maison. Signe de lassitude de leur créateur. Après 1976, celui-ci n'a plus le loisir de travailler à sa nouvelle histoire, d'abord située dans un aéroport, puis finalement, dans le milieu de l'art contemporain. Atteint d'anémie depuis longtemps, son état s'aggrave. De plus, il est occupé par le 50ème anniversaire de Tintin en 1979 et le sien en 1982. Ses retrouvailles avec Tchang en 1981 le tiennent aussi à distance de sa table à dessin. Il décède le 3 mars 1983.

Depuis la mort d'Hergé, il n'est sorti qu'un album, inachevé, L'Alph-Art, en 1986. Respectant la volonté de son mari, Fanny Rémi veille à ce que l'on ne prolonge pas son oeuvre. Seul Johan De Moor fut chargé d'adapter en couleurs des gags de Quick et Flupke. Concernant Tintin, on se contente de sortir des fac-similés d'anciennes éditions comme la version colorisée de L'île noire de 1943 ou des recueils de strips noir et blanc parus sous l'occupation comme Le mystères des 7 boules de cristal cette année. C'est bien, beaucoup de gens ne connaissaient pas ces aventures sous cette forme mais c'est limité. Quand tout aura été montré, il faudra bien se décider à produire de l'inédit. Pour qu'un personnage existe, il faut lui faire vivre de nouvelles histoires, le faire évoluer avec son temps. De l'anti-communisme des Soviets à l'égratignure des idéologies du XXème siècle dans Les Picaros, en passant par l'avant-garde technologique du dyptique lunaire et du Carreidas 160 de Vol 714', le pragmatisme caractérisait Georges Rémi qui, vers la fin, faisait porter un jean à son héros. Si on attend que le reporter à la houpette tombe dans le domaine public, il risque de sombrer dans l'oubli... 2054, c'est loin !

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